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Les secrets de Tel Shiqmonah

Bukvoed | Wikimedia Commons

Les secrets de Tel Shiqmonah

Escargots, poteries teintées et la couleur la plus recherchée au monde

Il s’agissait d’un secret commercial fortement protégé par ses récolteurs. Dieu ordonna à Moïse de l’utiliser dans la structure la plus sacrée de l’ancien Israël. Les Romains l’estimaient plus que l’or. De quoi s’agissait-il ? De la teinture d’un escargot de mer—plus précisément le murex.

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Les murex étaient récoltés pour la production d’argaman, une teinture violette très prisée comme produit de luxe. À l’âge du fer (1200-586 avant J.-C.), les Phéniciens, un peuple de marins basé dans l’actuel Liban, avaient le quasi-monopole de la production de cette teinture, également connue sous le nom de « pourpre de Tyr ». Mais la produisaient-ils ?

La toute première fabrique d’argaman a été découverte en Israël—à Tel Shiqmonah.

Un lieu singulier

Tel Shiqmonah est un site archéologique situé sur la côte nord d’Israël, près de l’actuelle ville de Haïfa. Fouillé à l'origine dans les années 1960 et 1970, les archéologues ne savaient pas quoi en penser. Le site n’est pas situé près d’un port facilement accessible, ce qui en fait un choix curieux pour une colonie maritime. Il est fortifié, bien qu’il ne soit pas situé sur un territoire apparemment stratégique.

À partir de 2016, lorsque l’Université de Haïfa a lancé le « Projet des premières périodes de Shiqmonah », les chercheurs ont commencé à rassembler les éléments qui ont rendu Tel Shiqmonah si important.

De grandes quantités de fragments de poterie avec des motifs phéniciens suggèrent un établissement phénicien plutôt qu’israélite. L’analyse de cuves d’argile tachées de pourpre et d’autres outils a permis de clarifier la fonction de Tel Shiqmonah : il s’agissait d’un site de production de masse de pourpre de Tyr. Et c’est le premier site de ce genre de l’époque biblique à être découvert.

La pourpre de Tyr était un produit très prisé dans le monde antique. L’empereur romain Dioclétien du 4e siècle de notre ère, dans son édit du Maximum, indique qu’une livre de teinture coûte 150  000 denierssoit trois fois la valeur de l’or.

La pourpre de Tyr était utilisée dans la construction du tabernacle biblique. Selon Exode 26 : 1, les rideaux du tabernacle étaient teints « en bleu, en pourpre et en cramoisi ». Exode 39 : 1 montre que les vêtements du souverain sacrificateur étaient également teints en pourpre. Dans 2 Chroniques 2 : 13, le roi phénicien Hiram envoie un artisan « habile à travailler [...] la pourpre » pour le temple de Salomon à Jérusalem. La teinture pourpre utilisée pour ces projets provenait peut-être de Shiqmonah.

Cela explique certaines des particularités de l’emplacement de Shiqmonah. Il n’y a pas de port et le site est proche d’un récif rocheux qui, selon la professeure Ayelet Gilboa et le docteur Golan Shalvi, deux des principaux chercheurs ayant participé aux fouilles, « mettait en danger tout bateau s’approchant du rivage ». Les fortifications de Tel Shiqmonah ont été conçues pour protéger sa précieuse cargaison. En outre, son « environnement maritime le long de la côte du Levant Sud est l’un des meilleurs habitats [pour les murex] », écrivaient Gilboa et Shalvi.

Les strates de Shiqmonah datent du 11e au 6e siècle avant J.-C. et sont réparties en 10 couches différentes. Les cuves datent des dix strates différentes de l’âge du fer, ce qui montre à la fois la longévité du site et la valeur de sa marchandise. Le fait que des taches de pourpre de Tyr aient survécu sur les cuves jusqu’à aujourd’hui montre que cette teinture de luxe soit d’une longévité excessive.

Nous savons également avec qui les ouvriers de Tel Shiqmonah commerçaient. Les archéologues ont découvert sur le site de grandes quantités de « poterie noir sur rouge » chypriote. Ce style de poterie est originaire de Chypre mais a été retrouvé ailleurs en Méditerranée orientale. Chypre était manifestement un partenaire commercial important. Par ailleurs, les versets 1 et 12 d’Ésaïe 23 montrent que Chypre (sous le nom archaïque de Kittim) était une région importante associée à Tyr et à Sidon, les deux principales cités-États de Phénicie.

Mais dans ces premières découvertes, les mystères de Tel Shiqmonah commençaient à peine à être élucidés.

Une influence particulière

La plupart des poteries trouvées sur le site étaient de style phénicien. Cela n’a rien de surprenant puisque Shiqmonah se trouve dans le nord d’Israël, près du cœur de la Phénicie, au Liban. Mais d’autres aspects du site suggèrent l’influence d’un autre peuple.

Tel Shiqmonah contient un mur d’enceinte en casemate, une construction essentiellement israélite composée de deux murs de pierre parallèles avec une cavité entre eux. En temps de siège, la cavité était remplie de sable et d’autres débris, ce qui ajoutait une couche supplémentaire de défense. D’autres tells présentent cette caractéristique, notamment Megiddo et Hazor. Tel Shiqmonah possède également des maisons à trois pièces de style israélite. Ces deux éléments architecturaux se retrouvent normalement dans les sites éloignés de la côte.

Comment expliquer que Tel Shiqmonah présente à la fois des traces d’occupation phénicienne et israélite ? Gilboa et Shalvi pensent avoir la réponse. Ils ont publié leurs conclusions en juin dans un article pour le journal de l'Institut d'archéologie de l'Université de Tel-Aviv.

La fabrique semble avoir été reconstruite après avoir été détruite à l’époque du roi Achab. C’est au cours de cette période (début-milieu du 9e siècle avant J.-C.) que cette culture matérielle composite phénicienne-israélite devient particulièrement évidente. Gilboa et Shalvi pensent qu’au cours du règne d’Achab, le royaume du nord d’Israël a conquis Tel Shiqmonah en raison de sa valeur économique.

« Le royaume israélite a reconnu l’incroyable potentiel économique du commerce de luxe de l’argaman, et il a voulu avoir sa part du gâteau », a expliqué M. Shalvi à Haaretz. Mais la production de la teinture « est une industrie très traditionnelle qui exige des connaissances approfondies en chimie. De plus, c’est un travail très nauséabond, et tout le monde n’est pas prêt à le faire. » Bien qu’Israël ait gardé le contrôle du site, il a employé des ouvriers phéniciens.

Les sites phéniciens contenant une influence architecturale israélite ne sont pas rares. Les colonies phéniciennes d’Espagne et d’Afrique du Nord en témoignent. Mais le niveau de similitude culturelle à Tel Shiqmonah, selon Shalvi, est unique.

Cette hypothèse présente toutefois une faille.

Une alliance stratégique

Selon la Bible, sous le règne d’Achab, Israël et la Phénicie n’étaient pas en guerre, mais plutôt alliés. Le choix d’Achab de sa reine en est la meilleure illustration : c’était la tristement célèbre Jézabel, « fille d’Ethbaal, roi des Sidoniens » (1 Rois 16 : 31).

« Sidonien » est une désignation française du peuple de Sidon, l’une des plus puissantes cités-États phéniciennes. L’historien juif Flavius Josèphe, qui vivait au premier siècle de notre ère, appelle Ethbaal « roi des Tyriens et des Sidoniens ». Cela implique que « Sidonien » était un nom utilisé pour les Phéniciens en général, au-delà des habitants de la seule ville de Sidon.

Il semble peu probable qu’Achab entrerait en guerre contre un royaume avec lequel il s’était allié par le biais d’un mariage diplomatique. Il est possible que la ville ait été conquise par le prédécesseur immédiat d’Achab, le roi Omri. La Bible ne donne pas beaucoup de détails sur Omri. Mais 1 Rois 16 : 16-22 montre qu’Omri était l’un des principaux généraux d’Israël et qu’il accéda au pouvoir à la suite d’une guerre civile. Le verset 27 indique que son règne était illustré par « ses exploits ». Il est possible qu’il ait démontré une partie de cette puissance par des conquêtes côtières.

Une autre preuve biblique se trouve dans 1 Rois 5. Le roi Hiram de Tyr était un ami et un allié du roi David. Cette alliance stratégique s’est poursuivie sous le règne du roi Salomon. Salomon profita des relations commerciales et de la main-d’œuvre qualifiée de Tyr. Il demanda à Hiram : « Ordonne maintenant que l'on coupe pour moi des cèdres du Liban. Mes serviteurs seront avec les tiens » (1 Rois 5 : 6).

Selon 2 Chroniques 2, l’un des artisans les plus appréciés d’Hiram était d’origine mixte phénicienne et israélite, ce qui laisse supposer un échange de population normalisé (versets 13-14). 1 Rois 9 : 10-13 montre que Salomon accorda à Hiram le contrôle de 20 villes en Galilée.

Entre-temps, Salomon épousa la fille du pharaon d’Égypte. Le pharaon offrit à Salomon la ville de Guézer (1 Rois 9 : 16-17).

Bien que cette histoire soit antérieure à Achab, il existe un précédent d’échanges entre Phéniciens et Israélites et de don de villes par des souverains dans le cadre de mariages diplomatiques. Il n’existe aucune preuve concrète que le site de Tel Shiqmonah ait été un cadeau similaire offert à Achab. Si tel était le cas, cela soulèverait la question de savoir qui a détruit Tel Shiqmonah à l’époque d’Achab et pourquoi. Mais compte tenu des liens entre Achab et les Phéniciens par l’intermédiaire de sa femme Jézabel, la théorie du « cadeau du beau-père » est intrigante. Le fait que Josèphe qualifie le père de Jézabel de roi de Tyr et de Sidon peut suggérer qu’il était un expansionniste et qu’il aurait pu conquérir Tel Shiqmonah d'une cité-État phénicienne rivale.

Gilboa et Shalvi datent la couche de destruction finale de Tel Shiqmonah de la seconde moitié du huitième siècle avant J.-C., ce qui correspondrait à peu près à la période où Israël a été vaincu et emmené en captivité par l’empire assyrien naissant, vers 721-718 avant J.-C. (voir 2 Rois 17).

Dans Ésaïe 10 : 5-6, Dieu décrit poétiquement l’Assyrie, disant qu’Il donne un ordre à ce peuple « pour qu'il se livre au pillage et fasse du butin, pour qu'il le foule aux pieds comme la boue des rues. » Tel Shiqmonah a été foulée aux pieds, mais le temps qui s’est écoulé n’a pas pu effacer son histoire de la mémoire historique. Elle survit encore dans les ruines de Tel Shiqmonah. Et à l’instar de la Bible qui éclaire son contexte historique, les secrets de Tel Shiqmonah sont là pour que tout le monde puisse les examiner.

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