ALEXEY NIKOLSKY/AFP VIA GETTY IMAGES
La Russie orchestre-t-elle une guerre dans les Balkans ?
La région la plus instable de l'ex-Yougoslavie menace de faire replonger la région dans la guerre. La Republika Srpska, la région de Bosnie-Herzégovine dominée par les Serbes, menace de faire sécession. Le dirigeant de la région, Milorad Dodik, a annoncé en octobre que la région se retirerait des institutions fédérales bosniaques.
Dodik a déclaré que la Republika Srpska se retirerait de l'armée, du système judiciaire, de l'administration fiscale et des services de renseignement bosniaques. Des institutions « exclusivement serbes » les remplaceraient. Il a déclaré qu'il interdirait aux institutions bosniaques d'opérer en Republika Srpska.
Il s'agit, comme l'a tweeté le politologue bosniaque Jasmin Mujanović, d'une « sécession en tout sauf le nom ».
This is secession in all but name. And he’s testing the waters. If Dodik and his masters in Moscow and Belgrade feel the response here is weak - which I fear it is likely to be - they’re going to escalate even further.
— Jasmin Mujanović (@JasminMuj) October 20, 2021
Cette action violerait les accords de Dayton de 1995, qui ont mis fin à la guerre de Bosnie.
Dans les années 1990, avec l'effondrement du communisme en Europe de l'Est, la Yougoslavie multiethnique fut poussée dans une guerre civile sanglante. La Bosnie-Herzégovine était la plus multiethnique des républiques yougoslaves. Sa population est un mélange de Bosniaques musulmans, de Serbes orthodoxes et de Croates catholiques. Les Bosniaques voulaient faire sécession de la Yougoslavie ; les Serbes voulaient faire sécession de la Bosnie et rejoindre la Yougoslavie ; les Croates voulaient faire sécession et rejoindre la Croatie, qui avait déjà quitté la Yougoslavie.
Il s'ensuivit l'un des conflits les plus sanglants en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
Des atrocités furent attribuées à toutes les parties. Sarajevo a subit le siège le plus destructeur de toutes les villes européennes depuis le siège de Leningrad pendant la Seconde Guerre mondiale. Un tribunal des crimes de guerre de La Haye qualifia de génocide le massacre des musulmans bosniaques par les Serbes de Bosnie. Les accords de Dayton de 1995 permirent de trouver un compromis : les Serbes auraient leur propre région autonome en Bosnie ; le gouvernement fédéral de Sarajevo aurait des responsabilités limitées ; la Republika Srpska conserverait sa propre capitale, Banja Luka.
Nombreux sont ceux qui craignent que le dernier geste de Dodik ne replonge la Bosnie dans une guerre civile. Des titres récents de divers médias mettent en garde :
-
« La Bosnie risque de se disloquer, avertit un haut fonctionnaire international » – Guardian Unlimited
-
« Les Serbes de Bosnie jouent avec le feu » – Spiegel International
-
« L'exercice de la police serbe de Bosnie est considéré comme une ‘provocation’ séparatiste » – Al Jazeera
Dans une interview accordée à Der Spiegel, Dodik a déclaré qu'il n'avait pas l'intention de déclencher une véritable guerre. « Je ne crois pas à la possibilité d'un nouveau conflit politique », a-t-il déclaré. « Ce n'est pas nous qui le déclencherons. Nous nous battons politiquement pour nos objectifs. » Pourtant, il est difficile de voir comment une sécession de la Bosnie permettrait d'accomplir autre chose qu'une guerre.
À certains égards, il est facile de sympathiser avec les Serbes. Dodik a établi des comparaisons entre la Republika Srpska et la Slovénie, la première république à se séparer de la Yougoslavie. Si tous les autres ont pu se séparer de la Yougoslavie, pourquoi les Serbes ne peuvent-ils pas se séparer de la Bosnie ? Et de nombreux Serbes se considèrent injustement comme les « méchants » de la guerre dans les médias occidentaux. De nombreux Serbes commirent des atrocités pendant la guerre. De nombreux Bosniaques et Croates furent également impliqués dans des actes odieux pendant la guerre. Par exemple, l'Iran et les talibans—deux régimes islamistes radicaux—furent impliqués dans l'organisation de camps d'entraînement en Bosnie pour les forces bosniaques musulmanes. Pourtant, de nombreux Serbes ont le sentiment que les transgressions des autres groupes ethniques sont balayées sous le tapis alors qu'ils deviennent les boucs émissaires de tout ce qui a mal tourné en Bosnie.
Mais contrairement à la rhétorique de Dodik, Banja Luka semble se préparer à la guerre.
Selon les accords de Dayton, la Republika Srpska n'est pas autorisée à avoir sa propre armée. Mais elle est autorisée à avoir sa propre force de police—et elle a développé une force de police assez importante. Le 22 octobre, les forces de sécurité de la Republika Srpska ont participé à un exercice « anti-terroriste » près de l'endroit où les Serbes de Bosnie bombardèrent Sarajevo pendant le siège de la ville. Les forces de sécurité comprenaient des véhicules blindés, des hélicoptères et des policiers spécialisés camouflés avec des fusils d'assaut.
À une occasion, le ministère de l'Intérieur de la Republika Srpska a acheté 2,500 fusils à grande puissance, soit environ 10 fois plus que la police nationale de Sarajevo.
Pourtant, pour vraiment comprendre ce qui se passe en Bosnie, nous devons nous éloigner de la politique locale. Il y a de plus grandes puissances impliquées dans cette affaire. Principalement, la Russie.
La plupart des peuples d'Europe de l'Est n'ont généralement pas une opinion favorable des Russes. Les Polonais, les Ukrainiens, les Estoniens et d'autres n'ont pas oublié ce que la patte d'ours de Moscou leur a fait quand ils étaient sous le communisme. Les Serbes sont l'un des rares peuples de la région à avoir une opinion contraire. De nombreux Serbes adorent la Russie. Un sondage réalisé en 2020 par le Centre de Belgrade pour la politique de sécurité a montré que 40% des Serbes considèrent la Russie comme le meilleur ami de la Serbie. Soixante-douze pour cent des Serbes considèrent que l'influence de la Russie en Serbie est positive. Par ailleurs, 51% ne sont pas favorables à l'adhésion de la Serbie à l'Union européenne.
Tous deux sont des slaves orthodoxes. La Russie soutint les Serbes pendant la Première et la Deuxième Guerre mondiale et pendant les guerres balkaniques des années 1990. Le dictateur communiste yougoslave, Josip Broz Tito, est vénéré par de nombreux Serbes comme Joseph Staline l'est par de nombreux Russes. Predrag Ceranić, doyen de la faculté de l'université de Banja Luka, a écrit un livre dans lequel il qualifie les Serbes de « petits Russes ».
Cela fait de la Republika Srpska un allié parfait pour Moscou, en plein cœur de l'Europe. Le président russe Vladimir Poutine le sait. Et il est devenu un partenaire international proche de Dodik.
Les forces de sécurité de la Republika Srpska entretiennent des relations étroites avec la Russie. Les forces de la république sont formées par des policiers et des formateurs antiterroristes russes. Parallèlement, les anciens officiers de la Republika Srpska obtiennent souvent des emplois réciproques en Russie. Par exemple, l'ancien capitaine serbe de Bosnie, Tihomir Ivanović, enseigne dans une académie militaire d'État de Moscou. Il est même question de créer un « centre humanitaire russe » en Republika Srpska sur le modèle d'un centre similaire dans la ville serbe de Niš ; le site de Niš est soupçonné d'être une station militaire et de renseignement russe. Comme le titrait Foreign Policy, « Poutine construit une force paramilitaire bosniaque. »
Ensuite, il y a l'incident de l'icône orthodoxe. En 2020, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, rendit visite à Dodik en Bosnie. Dodik offrit à Lavrov une icône orthodoxe orientale. Il s'est avéré que l'icône provenait de l'Est de l'Ukraine occupé par les rebelles. La question reste de savoir comment elle est arrivée entre les mains de Dodik. Cela suggère que Dodik a une sorte de relation forte ou d'influence avec les rebelles soutenus par la Russie. Dodik a déjà déclaré que la Bosnie devait reconnaître la souveraineté russe sur la Crimée.
En ce qui concerne la dernière crise, James Cleverly, fonctionnaire du ministère britannique des Affaires étrangères, a déclaré à la Chambre des communes du Royaume-Uni que « nous voyons effectivement la main de la Russie en jeu ici ». Le Dr Zijad Bećirović, directeur de l'Institut international d'études sur le Moyen-Orient et les Balkans, a déclaré en janvier que « la Republika Srpska est en train de devenir une sorte d'Ossétie du Sud des Balkans ». L'Ossétie du Sud est une région sécessionniste de l'ex-république soviétique de Géorgie parrainée par la Russie. La Russie a envahi la Géorgie en 2008 pour soutenir l'indépendance de l'Ossétie du Sud.
Poutine a déjà redessiné les frontières de l'Europe à sa guise. En 2014, il a annexé la péninsule ukrainienne de Crimée et a parrainé des groupes rebelles dans l'Est de l'Ukraine. Poutine pourrait-il faire quelque chose de similaire en Bosnie ? Et si tel était le cas, comment l'Europe réagirait-elle ?
Le principal objectif de l'Europe pour la région est d'intégrer l'ex-Yougoslavie à la fois dans l'Union européenne et dans l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord. Historiquement, la Yougoslavie était dominée par les Serbes, amis des Russes. Dans les années 1990, alors que Moscou pansait encore ses plaies après la perte de l'Union soviétique, la Yougoslavie se disloquait. L'Allemagne du chancelier Helmut Kohl vit l'occasion d'affaiblir le principal allié de la Russie en Europe et reconnut les régions séparatistes de Slovénie et de Croatie, alors que le reste du monde ne le faisait pas. Les États-Unis et l'Union européenne lui emboîtèrent le pas peu après. En raison de la participation allemande au déclenchement de la guerre, le reste de la Yougoslavie s'effondra. La Slovénie et la Croatie sont désormais des États membres de l'UE. Ces deux pays, ainsi que le Monténégro et la Macédoine du Nord, sont également des États membres de l'OTAN. Comme l'a écrit le rédacteur en chef de la Trompette, Gerald Flurry, dans sa brochure intitulée Germany's Conquest of the Balkans [La conquête des Balkans par l’Allemagne—disponible en anglais seulement], «l'Europe a effectivement conquis la Yougoslavie ! »
Mais l'Europe n'a pas fini de recoller les morceaux de la Yougoslavie. La Serbie et le Monténégro sont tous deux des pays candidats à l'adhésion à l'UE. La Bosnie-Herzégovine figure sur la liste des candidats potentiels. L'adhésion à l'OTAN est principalement préconisée par les Croates et les Bosniaques musulmans. Les Serbes—soutenus par leurs amis russes—font obstacle à cette adhésion.
Le nouveau haut représentant de Bosnie-Herzégovine, Christian Schmidt, ne veut pas que cela lui fasse obstacle. Le haut représentant est une personne nommée par la communauté internationale et chargée de veiller à l'application des accords de Dayton. Schmidt, un ancien membre du cabinet de la chancelière allemande Angela Merkel, veut faire de l'adhésion de la Bosnie à l'UE une réalité.
Poutine pourrait être prêt à déclencher une guerre dans les Balkans afin d’empêcher l'expansion de l'UE et de l'OTAN dans la région.
Les Balkans seraient touchés. De nombreux pays d'Europe de l'Est ont essayé de s'intégrer à l'UE et à l'OTAN par crainte de la Russie. Si la Russie parrainait une guerre en Bosnie, cela pourrait accélérer cette tendance.
Plus précisément, cela pourrait inciter l'Europe de l'Est à se tourner vers l'Allemagne—le pays européen que la Russie respecte le plus.
« Le président Poutine a une puissance militaire et la volonté de l'utiliser », écrit M. Flurry dans sa brochure intitulée Le « prince de Russie » prophétisé. « L'Amérique a la puissance mais n'a pas la volonté de l'utiliser. […] La crise ukrainienne se poursuit, et l'Amérique s'endort au milieu de cela. Mais l'Europe est profondément alarmée ! Les changements que cette crise provoque en Allemagne et en Europe vont secouer les nations ! »
L'Ukraine se trouve aux confins orientaux de l'Europe. La Bosnie se trouve en plein cœur de l'Europe, à quelques encablures de l'Italie. Une crise parrainée par la Russie en Bosnie pourrait effrayer l'Europe et la pousser à s'unir, plus encore que la crise ukrainienne.
Quoi qu'il en soit, l'Europe de l'Est est promise à une période de turbulence.
Pour en savoir plus sur les projets allemands et russes concernant l'Europe de l'Est, veuillez demander des exemplaires gratuits des brochures de M. Flurry intitulées Germany's Conquest of the Balkans [La conquête des Balkans par l’Allemagne—disponible en anglais seulement] et Le « prince de Russie » prophétisé.